La question, complexe, des retenues sociales dans le cadre du secteur de la construction évolue régulièrement. Tentons dès lors de faire le point en partant du texte qui régit cette matière.
Article 30 bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.
§ 1er. Pour l'application du présent article, il faut entendre par :
1° travaux :
a) les activités visées à l'article 20, § 2, de l'arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée[1];
b) en outre, pour l'application des §§ 7 à 9, les autres travaux qui doivent faire l'objet d'une déclaration préalable en vue de protéger la sécurité et la santé des travailleurs en vertu de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail;
2° donneur d’ordre : quiconque donne ordre d'exécuter ou de faire exécuter des travaux pour un prix;
3° entrepreneur :
- quiconque s'engage, pour un prix, à exécuter ou à faire exécuter des travaux pour un donneur d’ordre;
- chaque sous-traitant par rapport aux sous-traitants suivants;
4° sous-traitant : quiconque s'engage, soit directement, soit indirectement, à quelque stade que ce soit, à exécuter ou à faire exécuter pour un prix, le travail ou une partie du travail confié à l'entrepreneur ou à mettre des travailleurs à disposition à cet effet;
§ 2. [...]
§ 3. Le donneur d’ordre qui, pour les travaux visés au § 1er, fait appel à un entrepreneur qui a des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention, est solidairement responsable du paiement des dettes sociales de son cocontractant.
L'entrepreneur qui, pour les travaux visés au § 1er, fait appel à un sous-traitant qui a des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention, est solidairement responsable du paiement des dettes sociales de son cocontractant.
Les articles 1200 à 1216 du Code civil sont applicables à la responsabilité solidaire visée aux alinéas précédents.
La responsabilité solidaire est limitée au prix total des travaux, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, concédés à l'entrepreneur, ou au sous-traitant.
L'entrepreneur ou le donneur d’ordre sans personnel [extension de la responsabilité solidaire subsidiaire de l’entrepreneur principal au maître d’ouvrage] qui voit sa responsabilité solidaire engagée en application des §§ 3 et 4 est assimilé à un employeur débiteur et est renseigné comme tel dans la banque de données accessible au public visée au § 4, alinéa 6, s'il ne s'acquitte pas des sommes réclamées dans les trente jours de l'envoi d'une mise en demeure recommandée.
L'entrepreneur ou le donneur d’ordre [extension de la responsabilité solidaire subsidiaire de l’entrepreneur principal au maître d’ouvrage] identifié à l'Office national de sécurité sociale en qualité d'employeur qui n'a pas de dettes sociales propres et qui voit sa responsabilité solidaire engagée en application des §§ 3 et 4 est renseigné comme débiteur dans la banque de données accessible au public visée au § 4, alinéa 6, s'il ne s'acquitte pas des sommes réclamées dans les trente jours de l'envoi d'une mise en demeure recommandée.
On entend par dettes sociales propres, les sommes qu'un employeur est susceptible de devoir à l'Office national de sécurité sociale à un Fonds de sécurité d'existence au sens de la loi du 7 janvier 1958 concernant les Fonds de sécurité d'existence en sa qualité d'employeur. Le Roi en établit la liste. Il peut déterminer un montant en cotisations, majorations, indemnités forfaitaires, intérêts de retard ou frais judiciaires en deçà duquel l'employeur n'est pas considéré comme débiteur. De même, Il précise quelles sont les données qui doivent être en possession de l'Office national de Sécurité sociale et/ou du Fonds de sécurité d'existence pour apprécier l'existence de la dette en question.
Sont aussi considérées comme dettes sociales, les sommes réclamées au titre de la responsabilité solidaire dans les situations visées aux alinéas 5 et 6.
Les dettes pour lesquelles le débiteur auprès de l'Office national de sécurité sociale ou auprès d'un Fonds de sécurité d'existence a obtenu des délais de paiement sans procédure judiciaire ou par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée et fait preuve d'un respect strict des délais imposés, ne sont pas prises en considération pour déterminer s'il existe ou non des dettes.
La responsabilité solidaire visée au présent paragraphe s'étend également aux dettes sociales des associés d'une société momentanée, d'une société interne ou d'une société de droit commun, qui agit comme entrepreneur ou sous-traitant.
La responsabilité solidaire visée au présent paragraphe s'applique également aux dettes sociales de l'entrepreneur ou du sous-traitant qui prennent naissance en cours d'exécution de la convention.
La responsabilité solidaire dans le chef du donneur d’ordre ou de l'entrepreneur visée au présent paragraphe est limitée à 65 % lorsque la responsabilité solidaire visée à l'article 402, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 a été appliquée dans le chef du même donneur d’ordre ou entrepreneur.
§ 3/1. Lorsque le paiement des sommes réclamées auprès d'un sous-traitant en application de la responsabilité solidaire visée au § 3, alinéa 1er et 2, n'a pas ou pas totalement été effectué, le donneur d’ordre [extension de la responsabilité solidaire subsidiaire de l’entrepreneur principal au maître d’ouvrage] ou l'entrepreneur visé au § 7, alinéa 1er, ainsi que chaque sous-traitant intervenant sont solidairement responsables de celui-ci.
La responsabilité solidaire s'exerce d'abord dans le chef de l'entrepreneur qui a fait appel au sous-traitant qui n'a pas ou pas totalement payé les sommes exigées de lui en application du § 3, alinéas 1er et 2.
Elle s'exerce ensuite successivement, à l'égard des entrepreneurs intervenant à un stade précédent et en dernier lieu à l’égard du donneur d’ordre [extension de la responsabilité solidaire subsidiaire de l’entrepreneur principal au maître d’ouvrage], lorsque l'entrepreneur visé à l'alinéa précédent s'est abstenu d'acquitter les sommes qui lui sont réclamées, dans les trente jours de l'envoi d'une mise en demeure recommandée.
En pratique :
Lorsque les 3 conditions suivantes sont remplies :
le sous-traitant a des dettes sociales (= soumis à retenue sur facture) au moment de la passation du contrat;
le sous-traitant a également des dettes sociales (= soumis à retenue sur facture) au moment où l’entrepreneur général paie la facture;
l’entrepreneur général omet de faire les retenues et de les verser à l'O.N.S.S.
il y aura d'abord actionnement de la responsabilité solidaire directe (c’est-à-dire entre l’entrepreneur général et le sous-traitant);
si le montant réclamé n'est pas payé, l’entrepreneur général redevable du montant de la responsabilité solidaire sera soumis à retenue sur facture sur base de cette dette;
si le montant dû n'est pas soldé au moyen de la retenue sur facture ainsi organisée, l'O.N.S.S. peut avoir recours à la responsabilité solidaire subsidiaire, c'est-à-dire remonter dans la chaîne des cocontractants, en l’occurrence, remonter jusqu’au maître de l’ouvrage.
§ 4. Le donneur d’ordre qui effectue le paiement de tout ou partie du prix des travaux visés au § 1er, à un entrepreneur qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, est tenu, lors du paiement, de retenir et de verser 35 p.c. du montant dont il est redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, à l'Office national précité, selon les modalités déterminées par le Roi.
L'entrepreneur qui effectue le paiement de tout ou partie du prix des travaux visés au § 1er, à un sous-traitant qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, est tenu, lors du paiement, de retenir et de verser 35 % du montant dont il est redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, à l'Office national précité, selon les modalités déterminées par le Roi.
Le cas échéant, les retenues et versements visés au présent paragraphe sont limités au montant des dettes de l'entrepreneur ou sous-traitant au moment du paiement.
Lorsque la retenue et le versement visés au présent paragraphe ont été effectués correctement lors de chaque paiement de tout ou partie du prix des travaux à un entrepreneur ou un sous-traitant qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, la responsabilité solidaire visée au § 3 n'est pas appliquée.
Lorsque la retenue et le versement visés au présent paragraphe n'ont pas été effectués correctement lors de chaque paiement de tout ou partie du prix des travaux à un entrepreneur ou un sous-traitant qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, les montants éventuellement versés sont déduits, lors de l'application de la responsabilité solidaire visée au § 3, du montant pour lequel le donneur d’ordre ou l'entrepreneur est rendu responsable.
Lorsque le donneur d’ordre ou l'entrepreneur constate, à l'aide de la banque de données accessible au public, qui est créée par l'Office national de sécurité sociale et qui a force probante pour l'application des §§ 3 et 4, qu'il est dans l'obligation de faire des retenues sur les factures présentées par son cocontractant, et que le montant de la facture qui lui est présentée est supérieur ou égal à 7.143,00 €, il invite son cocontractant à lui produire une attestation établissant le montant de sa dette en cotisations, majorations de cotisations, sanctions civiles, intérêts de retard et frais judiciaires. L'attestation en question tient compte de la dette à la date du jour à laquelle elle est établie. Le Roi détermine la durée de validité de ladite attestation. Si son cocontractant affirme que les dettes sont supérieures aux retenues à effectuer ou ne lui produit pas l'attestation en question dans le mois de la demande, le donneur d’ordre ou l'entrepreneur retient et verse à l'Office national précité 35 p.c. du montant de la facture.
Le Roi peut adapter le montant de 7.143,00 € visé à l'alinéa précédent.
En pratique :
Lorsque le maître de l’ouvrage ou l’entrepreneur général constate, lors du paiement, qu’il doit faire les retenues visées et :
- que sa facture est d’un montant inférieur à 7.143,00 € (hors T.V.A.), il doit effectuer la retenue et le versement mentionné ci-avant de 35 % du montant dû (hors T.V.A.) ;
- que sa facture est d’un montant supérieur ou égal à 7.143,00 € (hors T.V.A.), il invite son cocontractant à lui produire une attestation établissant le montant de sa dette.
L'attestation en question tient compte de la dette à la date du jour à laquelle elle est établie. Elle est valable pendant les 20 jours qui suivent sa délivrance.
Si la dette est inférieure à la retenue à effectuer en principe, le versement doit être limité au montant de la dette ;
Par contre, si la dette figurant sur l'attestation est supérieure à la retenue à effectuer en principe, ou si l'attestation n'est pas produite par le cocontractant dans le mois de la demande, le versement de 35 % du montant dû (hors T.V.A.) doit être effectué.
Lorsque l'entrepreneur est un employeur non établi en Belgique, qui n'a pas de dettes sociales en Belgique et dont tous les travailleurs sont en possession d'un certificat de détachement valable, les retenues, visées au présent paragraphe, ne s'appliquent pas au paiement qui lui est dû.
Le Roi détermine le contenu et les conditions et modalités d'envoi des renseignements que doivent fournir les personnes visées au présent paragraphe à l'Office national précité.
Le Roi fixe les modalités selon lesquelles l'Office national précité répartit les montants versés en application des alinéas 1er et 2, afin de payer à l'Office national ou à un Fonds de sécurité d'existence au sens de la loi du 7 janvier 1958 concernant les Fonds de sécurité d'existence, les cotisations, les majorations de cotisations, les sanctions civiles, les intérêts de retard et les frais judiciaires dus par le cocontractant à quelque stade que ce soit.
Le Roi détermine le délai dans lequel ce montant peut être imputé, ainsi que les modalités de remboursement ou d'affectation du solde éventuel.
Le Roi détermine le délai dans lequel le cocontractant récupère le montant versé dans la mesure où les versements dépasseraient le montant des dettes.
§ 5. Le donneur d’ordre qui n'a pas effectué le versement visé au § 4, alinéa 1er, est redevable à l'Office national précité, outre le montant à verser, d'une majoration égale au montant à payer.
L’entrepreneur qui n'a pas effectué le versement visé au § 4, alinéa 2, est redevable à l'Office national précité, outre le montant à verser, d'une majoration égale au montant à payer.
Le Roi peut déterminer sous quelles conditions la majoration peut être réduite. Le recours contre la décision concernant la réduction doit, à peine de déchéance, être introduit dans les trois mois de la notification de la décision
§ 6. Les associés d'une société momentanée, d'une société interne ou d'une société de droit commun sont solidairement responsables entre eux pour le paiement des sommes dont la société momentanée, la société interne ou la société de droit commun est redevable en exécution de cet article.
§ 7. Avant de commencer les travaux, l'entrepreneur, à qui le donneur d’ordre a fait appel, doit communiquer, selon les modalités à fixer par le Roi, à l'Office national précité toutes les informations exactes nécessaires destinées à en évaluer la nature et l'importance ainsi qu'à en identifier le donneur d’ordre et, le cas échéant, les sous-traitants, à quelque stade que ce soit. Si au cours de l'exécution des travaux d'autres sous-traitants interviennent, cet entrepreneur doit, au préalable, en avertir l'Office national précité.
A cette fin, chaque sous-traitant, qui fait à son tour appel à un autre sous-traitant, doit préalablement en avertir, par écrit, l'entrepreneur et lui fournir les informations exactes nécessaires destinées à l'Office national précité telles que définies par le Roi.
L'entrepreneur informe l'Office national précité de la date de début et de fin des travaux. Le Roi définit ce que l'on entend par date de début et de fin des travaux.
De même, lorsque l'intervention d'un sous-traitant, qui avait été déclarée à l'Office national précité, est annulée, l'entrepreneur en informe l'Office national précité.
Pour l'application du présent paragraphe, est assimilé à l'entrepreneur :
a) tout entrepreneur qui est son propre donneur d’ordre, c'est-à-dire qui effectue ou fait effectuer pour son propre compte des travaux visés au § 1er, 1°, a), afin d'aliéner ensuite en tout ou en partie ce bien immobilier;
b) tout entrepreneur qui effectue pour son propre compte des travaux visés au § 1er, 1°, a);
c) pour les travaux visés au § 1er, 1°, b), la personne qui doit faire une déclaration préalable en vue de protéger la sécurité et la santé des travailleurs en vertu de la loi précitée du 4 août 1996.
L'Office national précité met une copie électronique des déclarations reçues à la disposition du service compétent du Service public fédéral des Finances.
Ces déclarations sont mises à la disposition des services d'inspection visés à l'article 16, 1°, du Code pénal social, qui le demandent.
§ 8. L'entrepreneur ou celui qui y est assimilé qui ne se conforme pas aux obligations du § 7, alinéa 1er, est redevable à l'Office national précité d'une somme équivalente à 5 p.c. du montant total des travaux, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, qui n'ont pas été déclarés à l'Office national. La somme qui est réclamée à l'entrepreneur est diminuée à concurrence du montant qui a été payé effectivement à l'Office national par le sous-traitant en application de la disposition de l'alinéa suivant.
Le sous-traitant qui ne se conforme pas aux dispositions du § 7, alinéa 2, est redevable à l'Office national d'une somme égale à 5 p.c. du montant total des travaux, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, qu'il a confiés à son ou à ses sous-traitants.
§ 9. Le Roi peut limiter l'application des §§ 7 et 8 aux travaux dont le montant total dépasse une limite qu'Il détermine et pour lesquels il n'a pas été fait appel à un sous-traitant.
De même le Roi peut limiter l'application des §§ 7 et 8 aux travaux dont le montant total dépasse une limite qu'Il détermine et pour lesquels il a été fait appel à un seul sous-traitant.
Les limitations visées aux alinéas 1er et 2 ne sont pas d'application pour les travaux visés au § 1er, 1°, b), qui doivent faire l'objet d'une déclaration préalable en vue de protéger la sécurité et la santé des travailleurs en vertu de la loi précitée du 4 août 1996.
Le Roi peut déterminer sous quelles conditions la somme due en vertu du § 8 peut être réduite ou l'exonération du paiement de la somme peut être accordée. Le recours contre la décision concernant la réduction ou l'exonération doit, à peine de déchéance, être introduit dans les trois mois de la notification de la décision.
§ 10. Le présent article n'est pas applicable au donneur d’ordre-personne physique qui fait exécuter des travaux visés au § 1er, à des fins strictement privées.
§ 11. Le présent article reste applicable en cas de faillite ou de tout autre concours de créanciers de même qu'en cas de cession, saisie-arrêt, nantissement, dation en paiement ou d'action directe visée à l'article 1798 du Code Civil [mais ne sont pas applicables en cas de réorganisation judiciaire][2].
Un recours judiciaire pour tempérer la rigueur de la sanction infligée par l'article 30 bis est-il possible ? Non, mais cette "lacune" n'a pas été jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle.
Voici pourquoi.
L'article 30 bis, § 3, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il a été adapté par la loi du 27 avril 2007, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et le principe général du droit à un contrôle judiciaire de pleine juridiction, en ce qu'un recours au juge judiciaire en vue de tempérer l'action sur la base du principe de proportionnalité contenu dans le Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas possible ?
L'article 30 bis originaire a été inséré dans la loi ONSS par la loi du 4 août 1978 de réorientation économique. Cette disposition faisait partie d'un ensemble de mesures visant à lutter, de manière plus efficace que dans le passé, contre les pratiques frauduleuses des pourvoyeurs de main-d'œuvre, qui se traduisent, d'une part, par le non-paiement des cotisations de sécurité sociale, du précompte professionnel et de la taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, par l'occupation d'un nombre important de postes de travail soit par des personnes bénéficiant d'allocations sociales (pension, allocations de chômage et indemnités AMI) et effectuant des prestations en violation des règles qui régissent l'octroi de ces allocations, soit par des étrangers non autorisés à travailler, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, a pour effet de réduire les offres pour les demandeurs d'emploi réguliers (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415-1, p. 36).
Le système de l'enregistrement des entrepreneurs tendait à garantir, au moyen de vérifications approfondies, que ceux-ci appliquent correctement la législation fiscale et sociale (ibid., p. 38). L'intention du législateur était « d'en arriver à ce qu'il ne soit plus fait appel à des personnes dont on peut craindre qu'elles ne rempliront pas leurs obligations d'employeur » (ibid., p. 39).
Dans cette version initiale, l'article 30 bis de la loi ONSS impliquait pour le commettant l'obligation de travailler avec un entrepreneur enregistré, sous peine d'être solidairement responsable des cotisations, des majorations de cotisations et des intérêts de retard dus par l'entrepreneur à l'Office national de sécurité sociale.
Cette responsabilité était limitée à 50 % du prix total des travaux, non compris la taxe sur la valeur ajoutée.
Celui qui faisait appel à un entrepreneur non enregistré était tenu, lors de chaque paiement qu'il effectuait à ce cocontractant, de retenir et de verser à l'Office national de sécurité sociale 15 % du montant dont il était redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée. Les montants ainsi versés étaient déduits, le cas échéant, de la responsabilité solidaire pour les dettes sociales.
La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que ce régime était contraire à la libre circulation des services, parce qu'il constituait, pour les entrepreneurs non enregistrés en Belgique, une entrave disproportionnée au marché belge (CJCE, 9 novembre 2006, C-433/04, Commission c. Belgique, points 30-42).
En remplaçant intégralement l'article 30 bis de la loi ONSS par l'article 55 de la loi-programme du 27 avril 2007, le législateur a cherché à mettre la responsabilité solidaire en matière de dettes sociales en conformité avec cet arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi qu'avec la loi du 16 janvier 2003 « portant création d'une Banque-Carrefour des Entreprises, modernisation du registre de commerce, création de guichets-entreprises agréés et portant diverses dispositions », sans négliger pour autant l'objectif initial, à savoir lutter contre les pratiques des pourvoyeurs de main-d'œuvre.
A cet égard, il est dit dans les travaux préparatoires : « Le nouveau mécanisme mis en place trouve sa pierre angulaire dans l'obligation pour le commettant ou l'entrepreneur d'effectuer une retenue uniquement en cas d'existence de dettes sociales et/ou fiscales dans le chef de l'entrepreneur ou du sous-traitant cocontractant, [...]. La responsabilité solidaire est seulement maintenue dans le chef du cocontractant de l'entrepreneur ou du sous-traitant lorsque les retenues n'ont pas été effectuées correctement. [...]. Quant à la remarque que le maître de l'ouvrage ou l'entrepreneur ne peut pas regarder dans le futur pour voir si son entrepreneur aura des dettes dans le cours de l'exécution du contrat, il faut attirer l'attention sur le fait que la responsabilité solidaire pour de telles dettes ne peut pas être abandonnée parce que ceci donnerait aux entrepreneurs l'occasion de s'organiser de telle façon qu'il n'y ait jamais de dettes au moment de la conclusion du contrat. Les dettes ultérieures pourraient être éventuellement à charge d'un autre maître de l'ouvrage pour autant qu'il y en ait un. Ceci n'est pas justifiable dans la lutte contre la fraude fiscale et sociale » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-3058/001, pp.17-21).
Dans cette nouvelle version de l'article 30 bis de la loi ONSS, l'obligation de travailler avec un entrepreneur enregistré a été remplacée par l'obligation, pour le commettant qui n'est pas une personne physique, de vérifier si l'entrepreneur a des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention ou au cours de son exécution. Si c'est le cas, il est tenu, conformément à l'article 30 bis, § 4, alinéa 1er, de la loi ONSS, lors de chaque paiement, de retenir et de verser à l'Office national de sécurité sociale 35 % du montant dont il est redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée. Le cas échéant, ces retenues et versements sont limités au montant des dettes de l'entrepreneur au moment du paiement.
Si le commettant ne respecte pas cette obligation, il est, conformément à l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS, solidairement responsable du paiement des dettes sociales de son cocontractant. La responsabilité solidaire est limitée au prix total des travaux confiés à l'entrepreneur, non compris la taxe sur la valeur ajoutée. D'autre part, conformément à l'article 30 bis, § 5, alinéa 1er, de la loi ONSS, le commettant est de plus redevable à l'Office national de sécurité sociale, outre le montant à verser, d'une majoration égale à ce montant.
Le juge a quo demande à la Cour si l'article 30 bis, §§ 3 et 5, de la loi ONSS est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général du droit à un contrôle de pleine juridiction, en ce que le juge qui se prononce sur la responsabilité solidaire précitée ne peut pas tempérer le montant sur la base du principe de proportionnalité.
La question préjudicielle n'est pas recevable en tant qu'elle porte sur l'article 30 bis, § 5, de la loi ONSS. Le juge a quo a en effet constaté que la demande de l'Office national de sécurité sociale porte en l'espèce seulement sur la responsabilité solidaire, limitée au prix total des travaux confiés à l'entrepreneur, comme le prévoit l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS, et qu'elle ne porte donc pas sur le paiement de la somme non retenue et de la majoration prévue à l'article 30 bis, § 5, de la loi ONSS. La Cour limite donc son examen à l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS.
Le juge a quo qualifie la responsabilité solidaire visée à l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS de mesure civile ayant un caractère purement indemnitaire. Selon lui, l'objectif de la responsabilité solidaire est de permettre à l'Office national de sécurité sociale de récupérer le montant des cotisations impayées par l'entrepreneur, fût-il limité au montant total des travaux confiés à l'entrepreneur, non compris la taxe sur la valeur ajoutée. De plus, le responsable solidaire peut à son tour poursuivre les autres débiteurs solidaires, chacun pour leur part, et dispose en principe d'une action récursoire vis-à-vis du débiteur initial.
Le droit à un contrôle de pleine juridiction implique que le juge peut vérifier si la décision de l'organisme percepteur est justifiée en droit et en fait et si les dispositions légales et les principes généraux qu'il doit observer, parmi lesquels le principe de proportionnalité, sont respectés. Ce droit implique au moins que ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration relève également du contrôle du juge. Dans le cadre de son contrôle, le juge ne peut toutefois se placer sur le plan de l'opportunité, ce qui serait inconciliable avec les principes qui régissent les rapports entre l'administration et les juridictions.
Le juge qui est saisi de la demande introduite contre le commettant des travaux vérifie le respect des conditions légales de la responsabilité solidaire. Il examine notamment si la convention répond aux définitions de « travaux », de « commettant » et d'« entrepreneur » données par l'article 30 bis, § 1er, de la loi ONSS, si l'entrepreneur avait des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention ou au cours de son exécution, au sens de l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS, et si le commettant a respecté ses obligations sur la base de l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS. Il détermine également, sur la base de la disposition en cause, le montant dû par le commettant.
La disposition en cause n'habilite pas l'Office national de sécurité sociale à limiter la hauteur de la demande. Le montant sur lequel porte la responsabilité solidaire est seulement déterminé par la hauteur des dettes sociales de l'entrepreneur et par le montant total des travaux confiés à l'entrepreneur, non compris la taxe sur la valeur ajoutée.
Le juge qui statue sur cette demande ne doit dès lors pas non plus être habilité à en modérer le montant sur la base du principe de proportionnalité.
L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, deuxième phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (deuxième alinéa).
Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens, et il y a lieu de constater que le législateur dispose à cet égard d'une large liberté d'appréciation. Il doit dès lors exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
La Cour européenne des droits de l'homme considère également que les Etats membres disposent en la matière d'une grande marge d'appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, § 38).
En imposant aux commettants des travaux visés à l'article 30 bis, § 1er, de la loi ONSS, l'obligation, prévue au paragraphe 4, alinéa 1er, du même article, de retenir et de verser à l'Office national de sécurité sociale 35 % du montant dont ils sont redevables, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, le législateur a voulu les responsabiliser dans la lutte contre la fraude sociale.
Cette obligation vise, d'une part, à permettre à l'Office national de sécurité sociale de recouvrer les cotisations sociales impayées par l'entrepreneur et, d'autre part, à éviter que des entrepreneurs qui ne respectent pas leurs obligations sociales fassent une concurrence déloyale à ceux qui les respectent. Le commettant peut choisir de ne pas collaborer avec un tel entrepreneur ou de respecter l'obligation de retenue précitée.
Le législateur a pu estimer que cette responsabilisation des commettants était nécessaire pour mener efficacement la lutte contre la fraude sociale. De plus, cette obligation, qui en vertu de l'article 30 bis, § 10, de la loi ONSS ne s'applique pas au commettant personne physique qui fait exécuter des travaux à des fins strictement privées, peut être facilement respectée en vérifiant sur le site internet prévu à cet effet si l'entrepreneur en question a payé ses cotisations sociales. Ce site internet permet d'ailleurs de préparer d'emblée la retenue exigée.
La responsabilité solidaire prévue par l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS ne s'applique que lorsque le commettant ne respecte pas l'obligation découlant de l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS. Le montant sur lequel porte cette responsabilité solidaire n'est jamais supérieur au préjudice que l'Office national de sécurité sociale a subi à la suite du défaut de paiement des cotisations sociales de l'entrepreneur. De même, ce montant ne dépasse jamais le prix total des travaux confiés à l'entrepreneur, non compris la taxe sur la valeur ajoutée.
Conformément à l'article 30 bis, § 3, alinéa 3, les articles 1200 à 1216 du Code civil sont applicables à la responsabilité solidaire. Par conséquent, l'Office national de sécurité sociale peut choisir, parmi tous les commettants qui n'ont pas respecté l'obligation prévue à l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS, celui auquel elle s'adresse, sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division (article 1203 du Code civil). Le paiement par le commettant poursuivi pour les dettes sociales de son cocontractant à l'égard de l'Office national de sécurité sociale libère les autres commettants qui n'ont pas respecté l'obligation prévue par l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS, vis-à-vis de l'Office national de sécurité sociale (article 1200 du Code civil). Le commettant qui a payé la totalité de la dette peut ensuite réclamer à chacun des autres commettants leur part de la dette. Si l'un d'eux se trouve insolvable, la perte qu'occasionne son insolvabilité se répartit par contribution entre tous les autres codébiteurs solvables et celui qui a fait le paiement (article 1214 du Code civil).
Afin de ne pas faire perdre tout effet utile au partage de la dette solidaire entre tous les débiteurs solidaires au sens de l'article 1214 du Code civil et de l'article 30 bis, § 3, alinéa 3, de la loi ONSS, l'Office national de sécurité sociale est tenu de communiquer, sur simple demande du commettant poursuivi, l'identité des autres commettants qui n'ont pas respecté l'obligation prévue par l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS. On peut ainsi généralement éviter que le débiteur solidaire poursuivi par l'Office national de sécurité sociale doive répondre seul des cotisations sociales impayées.
Cependant, le risque subsiste que le commettant poursuivi par l'Office national de sécurité sociale doive supporter définitivement le montant total des cotisations sociales impayées. Ce risque, qui n'existe que si le commettant fait appel à un entrepreneur qui a des dettes sociales et s'il ne respecte pas l'obligation prévue par l'article 30 bis, § 4, de la loi ONSS, ne saurait cependant prévaloir contre l'objectif de lutter efficacement contre la fraude sociale et est un effet inévitable du choix légitime du législateur de responsabiliser les commettants à cet égard.
Compte tenu de ce qui précède et étant donné le caractère indemnitaire de la responsabilité solidaire en cause, l'impossibilité pour l'Office national de sécurité sociale, et donc pour le juge, de modérer le montant de la responsabilité solidaire prévue par l'article 30 bis, § 3, de la loi ONSS, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général du droit à un contrôle de pleine juridiction.
La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit que l'article 30 bis, § 3, de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, avant sa modification par la loi-programme du 23 décembre 2009, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général du droit à un contrôle de pleine juridiction[3].
Nous terminerons cette brève contribution en rappelant qu'un système analogue de retenues est organisé par les articles 400 à 408 du C.I.R. / 1992. Nous renvoyons nos lecteurs à ces textes, tout en précisant que les retenues s'élèvent à 15 % (et non plus 35 %) du montant, hors T.V.A., des travaux immobiliers exécutés par un entrepreneur qui est débiteur d'arriérés fiscaux.
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[1] C’est-à-dire les travaux immobiliers.
[2] La procédure de réorganisation judiciaire a été exclue par l’article 47 de la loi du 27 mai 2013 modifiant diverses législations en matière de continuité des entreprises (entrée en vigueur le 1er août 2013) car « Le mécanisme de l’article 30bis pourrait, s’il est appliqué sans discernement, empêcher la protection limitée du débiteur voulue par le législateur. Si tous les fournisseurs de travaux ou de services étaient tenus de payer la moitié des factures émises à leur charge par un débiteur en réorganisation en couvertures de dettes sociales sursitaires, le débiteur ne serait plus à même de financer son activité. Le texte en projet exclut l’application de l’article 30bis aux réorganisations judiciaires. Cet amendement s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence et doctrine constantes indiquant que l’application de l’article 30bis aux réorganisations judiciaires n’est pas conforme aux exigences des articles 10 et 11 de la Constitution ».
[3] C.C., arrêt n°79/2016 du 25 mai 2016, Moniteur belge du 8 septembre 2016 ; J.L.M.B., 2016, pp.1544 à 1548.