La Directive n°86/653 CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants a laissé au libre choix desdits Etats le système d'indemnisation de l'agent en cas de cessation du contrat conclu avec le commettant.
Le législateur belge a transposé en droit interne la Directive européenne via la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale puis par les articles X.1 à X.25 du Code de droit économique.
La problématique de l'articulation entre indemnité d'éviction et indemnité complémentaire relève des articles X.18 et X.19 du Code de droit économique.
L'article X.18 du Code de droit économique est rédigé comme suit :
" Après la cessation du contrat d'agence commerciale, l'agent commercial a droit à une indemnité d'éviction lorsqu'il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec la clientèle existante, pour autant que cette activité puisse encore procurer des avantages substantiels au commettant.
Si le contrat d'agence commerciale prévoit une clause de non-concurrence, le commettant est réputé, sauf preuve contraire, recevoir des avantages substantiels.
Le montant de l'indemnité d'éviction est fixé en tenant compte tant de l'importance du développement des affaires que de l'apport de clientèle.
L'indemnité d'éviction ne peut dépasser le montant d'une année de rémunération, calculé d'après la moyenne des cinq dernières années, ou, si la durée du contrat d'agence commerciale est inférieure à cinq ans, d'après la moyenne des années précédentes.
L'indemnité d'éviction n'est pas due :
1° si le commettant a mis fin au contrat d'agence commerciale en raison d'un manquement grave prévu à l'article X.17, alinéa 1er, imputable à l'agent ;
2° si l'agent a mis fin au contrat d'agence commerciale, à moins que cette cessation ne soit due à un motif prévu à l'article X.17, alinéa 1er, imputable au commettant ou qui soit la conséquence de l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial en raison desquels la poursuite de ses activités ne peut raisonnablement plus être exigée de lui ;
3° lorsque, selon un accord avec le commettant, l'agent commercial ou ses héritiers cèdent à un tiers les droits et obligations qu'ils détiennent en vertu du contrat d'agence commerciale.
L'agent perd le droit à l'indemnité d'éviction s'il n'a pas notifié au commettant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat d'agence commerciale, qu'il veut faire valoir ses droits".
L'article X.19 est quant à lui rédigé en ces termes :
" Pour autant que l'agent commercial ait droit à l'indemnité d'éviction visée à l'article X.18 et que le montant de cette indemnité ne couvre pas l'intégralité du préjudice réellement subi, l'agent commercial peut, mais à charge de prouver l'étendue du préjudice allégué, obtenir en plus de cette indemnité, des dommages-intérêts à concurrence de la différence entre le montant du préjudice réellement subi et celui de cette indemnité".
Compte tenu de la rédaction peu claire de ces deux dispositions, la doctrine et la jurisprudence se sont interrogées quant aux champs d'application respectifs de celles-ci.
Certains considéraient que l'indemnité complémentaire prévue par l'article X.19 devait réparer un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité d'éviction de l'article X.18.
D'autres, au contraire, considéraient que le préjudice susceptible d'être réparé par l'indemnité complémentaire devait être de même nature que celui réparé par l'indemnité d'éviction (perte de commissions sur la clientèle apportée au commettant) mais dépassant le plafond fixé par l'article X.18.
Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 3 décembre 2015 et un arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 2016 ont mis fin à cette controverse en considérant que l'indemnité complémentaire visée par l'article X.19 du Code de droit économique doit réparer un préjudice distinct de celui qui est réparé par l'indemnité d'éviction prévue par l'article X.18 du même Code.
Quid en pratique ?
En pratique, le système d'indemnisation de l'agent commercial indépendant se présente en cascade : il ne pourra avoir droit, le cas échéant, à l'indemnité complémentaire prévue par l'article X.19 que s'il a droit à l'indemnité d'éviction de l'article X.18.
Le droit d'obtenir une indemnité complémentaire est en effet subordonné à la condition préalable d'obtenir une indemnité d'éviction.
En d'autres termes, l'agent qui ne remplirait pas les critères fixés pour obtenir une indemnité d'éviction, à savoir :
apporter de nouveaux clients au commettant ou
développer sensiblement les affaires avec la clientèle existante et
pour autant que cette activité puisse encore procurer des avantages substantiels au commettant
ne pourra pas se prévaloir d'une indemnité complémentaire susceptible d'indemniser son préjudice suite à la cessation du contrat avec le commettant.
Le choix du législateur belge de privilégier le système de l'indemnité d'éviction plafonnée par rapport à une réparation du préjudice réel subi par l'agent commercial peut placer celui-ci dans une situation délicate, notamment s'il a consenti d'importants investissements matériels et en personnel.
Selon que l'on est le commettant ou l'agent commercial, il convient dès lors d'être attentif à ce point lors de la rédaction de la convention d'agence, d'autant plus que contrairement à ce qui est prévu pour l'indemnité d'éviction, il n'existe pas de plafond pour l'indemnité complémentaire.
A bons lecteurs, Salut !
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